Le 3 janvier dernier, Hakeem Jeffries a été intronisé chef du Parti démocrate à la Chambre des représentants des Etats-Unis. Succédant à Nancy Pelosi qui fut la première femme à occuper ce poste, l’élu démocrate de New York devient le premier Noir à endosser un rôle de leadership au Congrès américain. Cette nomination, hautement symbolique, marque un renouveau générationnel et racial en Amérique. Les midterms ont par ailleurs fait émerger une génération de leaders afro-américains : ces derniers partagent une curieuse particularité de patronymie panafricaine liant l'Afrique à la Black America.

Pour commencer, le nom complet du chef de file des Démocrates est Hakeem Sekou Jeffries. Ce middle name n’est pas sans rappeler celui du père de l’indépendance guinéenne, Sékou Touré. Bien qu’anecdotique, les pères des indépendances africaines retrouvent aujourd’hui une renaissance dans les noms portés par des leaders politiques afro-américains. On se rappelle qu’à l’époque, Stokely Carmichael, figure emblématique du Black Panther Party, avait légalement changé son nom en Kwame Ture en hommage aux dirigeants africains Kwame Nkrumah et Sékou Touré.

Les années 1960 ont permis à une génération d’Afro-Américains de s’émanciper en réinventant leur identité, à l’aulne des figures des indépendances africaines. Aujourd’hui, les enfants et petits-enfants de ces militants afro-américains du siècle passé portent les noms de leurs aïeuls en Amérique mais surtout le patronyme de précurseurs venus d’Afrique. Comment les pères de l’indépendance africaine revivent à travers les fils de la démocratie américaine ? Retour sur une patronymie panafricaine qui lie Amérique et Afrique noires.

De l’Afrique anglophone…

Depuis 2018, un Afro-américain de 32 ans connaît une ascension fulgurante : Malcolm Kenyatta est le premier Noir et gay élu à la Chambre des représentants de la Pennsylvanie. Sa victoire, immortalisée dans le documentaire Going Forward, l’a propulsé au sein du Parti démocrate. Son patronyme a de quoi étonner : il porte le nom du célèbre militant afro-américain Malcolm X, et premier président de la République du Kenya, Jomo Kenyatta. Mais Malcolm Kenyatta est surtout le petit-fils de Muhammah Kenyatta (né Donald Brooks Jackson), un militant des droits civiques. Lors des midterms, Kenyatta avait échoué à dépasser le stade des primaires pour le siège de sénateur de Pennsylvanie, mais nul doute que son ambition lui permettra de gagner en stature dans le futur.

Dans le Wisconsin, les midterms avaient opposé le républicain Ron Johnson au démocrate Mandela Barnes pour le poste de sénateur. Né en 1986 l’élu progressiste – qui aime s’appeler « the other Mandela » selon son compte Twitter – est l’homonyme du premier président de la République d’Afrique Sud. Elu à l’Assemblée de l’Etat du Wisconsin de 2013 à 2017 puis au poste de lieutenant-gouverneur depuis 2019, l’élu de 36 ans s’était lancé dans la sénatoriale en 2022. Porté par une campagne pleine de promesses, le candidat démocrate fut malheureusement battu d’un ridicule écart de 1% par son rival républicain. Cette défaite aura tout de même permis à « l’autre Mandela » de gagner une stature nationale dans le paysage politique américain.

…à l’Afrique francophone

On pourrait penser qu’entre l’Amérique et l’Afrique, la patronymie panafricaine se porterait exclusivement sur des pères de l’indépendance venant de pays anglo-saxons. La proximité de la langue anglaise et de la relation spéciale entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni pourraient laisser supposer que le public afro-américain ne serait exposé ou touché par les indépendances anglophones. Pourtant, on constate qu’aux côtés de Mandela et Kenyatta, des leaders francophones trouvent leurs homonymes aux Etats-Unis. Cette présence d’homonymie francophone dans un pays anglophone montre une perméabilité et une interconnexion entre l’Amérique noire et l’Afrique noire, qui dépasse la langue.

Au Mississippi, la ville de Jackson est gouvernée par le maire afro-américain Chokwe Antar Lumumba. Elu en 2017 et réélu en 2021, l’élu démocrate se décrit lui-même comme un progressiste, socialiste, et révolutionnaire politique. Cette description collait déjà à son aïeul spirituel et homonyme congolais, Patrice Lumumba, intronisé Premier ministre du Congo libre en 1960. Pour la patronymie, le maire de 39 ans doit toutefois son nom à son défunt père, Chokwe Lumumba. Né Edwin Finley Taliaferro, celui qui fut lui-même maire de Jackson en 2013 (avant de décéder l’année suivante d’un arrêt cardiaque) avait changé son nom lorsqu’il était militant de la Republic of New Afrika dans les années 1960.

A l’Ouest des Etats-Unis, dans la petite ville de Cotati en Californie, un « père de la Nation » a également trouvé sa voie vers la mairie. Robert Coleman-Senghor est l’homonyme américain de Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal. Né en 1940 de l’union de Tommy Coleman et Lurenia Tucker, « Bob » Coleman accola le nom de Senghor au sien au cours de sa vie. Professeur au département d’Anglais de l’Université de Sonoma State (qui offre aujourd’hui une bourse universitaire en son nom), Coleman-Senghor a toujours eu un goût pour la politique. Elu au conseil municipal en 2008, puis vice-maire en 2009, il est finalement élu maire en 2010 – avant de décéder l’année suivante.

What’s in a name?

De l’Afrique anglophone à l’Afrique francophone, les pères de l’indépendance africaine font l’objet d’une renaissance dans la classe politique afro-américaine. Cette résurgence est le fruit d’une connexion entre Afrique et Amérique noires datant des années 1960 et pose la question du poids du nom. Comme disait William Shakespeare : « what’s in a name? ». Le nom n’a-t-il aucune influence sur la nature intrinsèque d’un être ou est-il au contraire un déterminant dans la trajectoire de leaders afro-américains, homonymes d’héros africains ? Je l’ignore. Après tout, je ne m’appelle que Malcolm.

Malcolm BIIGA

Analyste politique des Etats-Unis

Afrique

 
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